25 Janvier 2019
Qu'avions-nous à cirer de Malibu Beach, Toni ? À Casablanca, nous avions des gratte-ciel que nous enviaient les Américains, nous avions le soleil toute l'année et des plages à perte de vue. Celle de Mannesman était parmi les plus belles. Ta nana d'alors s'appelait Colette et ses parents y possédaient un cabanon où nous allions passer le week-end, en bande. Ce que nous appelions des cabanons parce qu'ils étaient construits en bois étaient en réalité de formidables maisons de vacances. Tu n'as tout de même pas oublié Colette, Toni ? Je t'ai apporté une photo. Debout, le col de la chemise ouvert, c'est moi, et à mes genoux, c'est Jo, en sweat rayé. Sublime Jo. Tu en étais un peu amoureux, toi aussi, n'est-ce pas ? Todos los ladrones están enamorados de Jo, y jo también, comme chante le Quarteto Cedrón avec son accent argentin. Toi, tu es à côté de moi, à ma gauche, la tête légèrement penchée vers Colette dont on aperçoit le profil. Tu lui soulèves le menton pour l'obliger à te regarder. Tu la reconnais, à présent ? Sacrée brochette de nanas que nous avions là ! Dans notre cabanon, comme tous ceux de la plage, il n'y avait pas de courant, donc pas de frigo, on s'éclairait avec une lampe à pétrole qu'on accrochait au plafond, on buvait l'eau que nous allions chercher à la fontaine, la vaisselle se faisait avec le sable mouillé, l'amour derrière la dune ou dans la mer, selon l'heure de la marée. Notre seul luxe, et quel luxe, c'était un tourne-disque à manivelle, une antiquité mais qui n'avait pas besoin d'électricité. Frank Sinatra, Sydney Bechet, Glenn Miller, Perez Prado, Fats Waller… "Remets-nous un slow, Toni ! Un lent, un très lent… T'as pas Blue moon ?" Et entre deux disques à demi rayés, courir sur la plage, dans le noir, laisser tomber ses affaires, blue moon, plonger dans les reflets de lune, blue moon, faire l'amour.