Brasserie du Théâtre

Il a le teint d'un haricot vert, il est saoul, drogué, ou simplement malade. Ses habits sont ceux d'un homme qui a dormi avec. Il se penche vers une famille d'Espagnols attablés à la terrasse et demande : Vous n'avez pas vu Lily Shanghaï ? Les Espagnols font signe qu'ils n'ont pas compris, ils parlent mal le français. Vous n'avez pas vu Lily Shanghaï ? demande-t-il alors à un couple de jeunes gens. Non, ils ne l'ont pas vue, ils ne la connaissent pas. Vous n'avez pas vu Lily Shanghaï ? Non, lui répond une femme qui boit un thé vert en fumant une Camel. Le serveur non plus ne l'a pas vue, et puis il est pressé, lâche-nous la grappe avec ta Lily Shanghaï ! Il retient des passants par la manche : Vous n'avez pas vu Lily Shanghaï ? Un Anglais, se méprenant, lui donne une pièce. Il se fiche de l'argent, c'est Lily Shanghaï qu'il veut, lui explique sa femme. L'inconnu laisse tomber la pièce avec indifférence. Vous n'avez pas vu Lily Shanghaï ? Deux estivants s'arrêtent et demandent à leur tour à d'autres passants s'ils n'ont pas vu Lily Shanghaï, et tout le monde à présent pose la question à tout le monde, des groupes en discutent sur le trottoir, mais personne ne l'a vue. Sur la terrasse, des consommateurs se lèvent et les mains en porte-voix demandent alentour si quelqu'un a vu Lily Shanghaï ? Certains s'inquiètent de savoir pourquoi on la cherche, ce qu'elle a fait. Un homme qui porte un pantalon de treillis, un marcel à résilles, une casquette de bouliste, un tatouage avec une playmate sur le bras, s'arrête, demande qu'on lui répète la question. Oui, il l'a vue sortir du conservatoire avec un étui à violon attaché à l'épaule et entrer chez Françoise, dit-il avec un accent lithuanien. L'inconnu n'a pas entendu, il titube plus loin dans la lumière du matin en s'enquérant auprès d'autres passants.

© Tito Topin