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Tito Topin, blog-trotteur.

La mort m'emmerde.

La mort m’emmerde. À ma décharge, je dois dire qu’elle a perdu de sa superbe depuis que les piétons ne se découvrent plus au passage d’un corbillard tiré par deux chevaux caparaçonnés de noir, conduit par un croquemort à moustaches coiffé d’un bicorne trop grand pour lui. Plus personne ne porte de chapeaux, les croquemorts ressemblent à mon beau-frère qui vend du papier peint et les morts brûlent des feux rouges couchés à l’arrière de puissantes Mercedes, pressés de s’enterrer dans des cabanes en bois spécialement conçues pour eux. Hier encore pourtant, l’homme savait mourir avec élégance. En pleine course, le corps arqué en arrière, les jambes légèrement fléchies, les bras en croix, immortalisé si j’ose dire par le Leica de Robert Capa. Ou bien peint en bleu avant de se faire exploser dans un film de Godard, ou alors comme Thelma et Louise, dans une décapotable Thunderbird 66 de couleur verte lancée à toute vitesse dans le vide, ou criblés de chevrotine comme Clide Barrow et Bonnie Parker dans la chanson de Gainsbourg, ou encore comme Dutch Schultz murmurant ses derniers mots à l’oreille de William Burroughs sur un trottoir du Loop, à Chicago sans oublier feue Jeanne d’Arc sur son bûcher en bois de hêtre fraîchement coupé. C’était des morts qui savaient vivre si j’ose dire, des morts qui avaient de la gueule. Ils inspiraient des films, des livres, des expositions, ils gravaient des légendes dans le marbre du ciel comme dirait Saint-John Perse. Aujourd’hui, le mort évite le grandiloquent, il meurt très vieux, masqué, assis dans un fauteuil recouvert de reps à motifs de papillons et aucun réalisateur de ma connaissance n’a envie de faire un film sur un mort masqué assis dans un fauteuil recouvert de reps à motifs de papillons, sa paire de lunettes accrochée à l’oreille par une branche, aucune romancière n’a envie de raconter la mort d’une vieille dame masquée assise dans un fauteuil recouvert de reps à motifs de papillons avec sa paire de lunettes qui pendouille à une oreille, aucun photographe n’a envie d’immortaliser un mort masqué assis dans un fauteuil de reps à motifs de papillons avec sa paire de lunettes qui pendouille à une oreille et son sonotone qui trempe dans le bouillon de poireaux. Vue ainsi, la mort m’emmerde.

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