Brasserie du Théâtre.

Ils sont deux, ils sont vieux, assis côte à côte devant des tasses de café froid, leurs chaises tournées vers le cours. Le plus petit est coiffé d'une sorte de serviette-éponge enroulée autour du crâne avec un pan qui recouvre la nuque. Le visage est une carte en relief, avec des creux, des saillies, des trous, des plis, des monts, des vallées où coulent des rides. L'autre porte un bonnet de laine et des lunettes noires en plastique très enveloppantes, de celles qu'on donne après une opération de la cataracte. Une barbe grise couvre le reste du visage de sorte qu'on en voit pas grand-chose. Il est gras, ses mains se rejoignent sur son ventre comme pour s'assurer de son importance. Près de lui, une canne en bois. Les deux hommes ne se disent rien, ne bougent pas, ils n'ont même pas l'air de se connaître. Passe une cycliste, une jeune Asiatique, toutes dents dehors, casquette à longue visière, cheveux au vent, jupe relevée sur les cuisses, ombrelle fichée dans le guidon. Les deux anciens la suivent des yeux, puis leurs regards se rencontrent et ils éclatent de rire, comme deux collégiens complices d'un coup pendable qu'ils sont les seuls à connaître. Ils se tapent dans la main à plusieurs reprises, avec force, et retrouvent leur attitude.

© Tito Topin

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