Brasserie du Théâtre

Elle s'est approchée, l'air timide, des cheveux noirs à la diable, un maquillage de cinéma muet, elle a salué en inclinant la tête comme elle l'aurait fait sur la scène de l'Olympia et a pris place sur une chaise de la terrasse, son instrument posé sur les genoux, un accordéon assez moche, de couleur jaune. Encore une imitation chinoise, pensai-je. Elle en a fixé la bretelle sur l'épaule, penché la tête vers les touches du clavier et fermé les yeux. Brusquement, elle s'est redressée, a tapé deux fois le sol du pied, avec force, pour requérir l'attention et a lancé les premières notes de Ah le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles quand les filles sont belles du côté de Nogent en s'accompagnant de la voix, une voix de bordel clandestin. Elle ne connaissait pas les paroles, elle marmonnait en lâchant de temps en temps vin blanc, Nogent, sans paraître comprendre ce qu'elle disait. Pour le reste, elle avait l'oreille d'une moule de Bouzigues tellement elle jouait faux. Quand elle enchaîna sur O Catarinetta bella, tchi-tchi, le type qui mangeait une pizza belge à ma gauche lui lança : "A qui c'est que tu l'as volé, ton accordéon ?" Elle s'arrêta net, prit un air indigné, dégagea sa bretelle d'un geste sec, replia l'instrument qui émit une sorte de plainte et partit d'un pas vif en dressant un index derrière son épaule.

© Tito Topin

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