L'information m'emmerde.

L'information m'emmerde. À ma décharge, je dois dire que de mon temps (ancien), on ignorait ce qui se passait dans le monde. On avait droit à un quart d'heure d'actualités Pathé au cinéma, la radio grésillait quand elle consentait à marcher, il fallait tortiller l'antenne du téléviseur dans tous les sens pour avoir une image. Quant aux journaux, ils donnaient la priorité au championnat de pétanque du week-end. Ne sachant rien d'eux ou pas grand chose, je trouvais Staline sympathique, j'aimais son air bonhomme sans savoir qu'il décimait les intellectuels et que la famine tuait des millions de paysans. J'admirais Mao qui marchait en tête de centaines de milliers de Chinois en chantant Bella Ciao dans sa belle langue mandarine, j'adorais Gandhi et tous les Indiens, des non-violents qui allaient pieds nus en jouant du ou de la sitar (je n'ai jamais su si c'était masculin ou féminin). Et puis Hollywood me racontait que tous les Américains ressemblaient à Paul Newman alors je m'endormais en m'imaginant roulant dans de longues décapotables avec Jayne Mansfield accrochée à mon cou. Mais depuis que des chaînes d'information en continu me disent tout ce que je dois savoir, j'ai appris que les Chinois se lavent les mains et toussent dans leurs coudes en bossant douze heures par jour, que les Américains sont des obèses groupés en troupeaux trumpistes derrière des évangélistes empourprés, que les Cubains risquent leur vie en traversant la mer sur des rafiots pour aller vivre à Disneyland, que les Suédoises ne sont pas toutes blondes, que les Indiens sont les plus grands violeurs de la terre, que les Russes sont des maffieux vaporisant du polonium sur les têtes qui ne leur plaisent pas et que les Argentins ne dansent plus le tango, je n'ai plus de repères, j'ai perdu mes rêves et suis réduit à peu de choses, aussi vais-je de ce pas avaler une lampée de Fernet-Branca au goulot. Je vous l'ai dit, l'information m'emmerde.