Les masques m'emmerdent.

Les masques m'emmerdent. À ma décharge, je dois dire que je porte en permanence des lunettes et des appareils auditifs (le terme de sonotone était plus joli). Ce sont des prothèses accrochées derrière mes oreilles par des espèces de branches, du moins c'est ainsi qu'on les désigne. Si j'y ajoute l'élastique du masque, mes oreilles (qui ne sont pas extensibles contrairement à celles du lapin, mieux conçues pour accueillir toutes sortes d'objets), mes oreilles disais-je, protestent à juste titre qu'elles ne sont pas suffisamment écartées pour faire office de portemanteaux. À peine ai-je fait trois pas dans la rue que mes lunettes s'embuent. Je les retire pour les essuyer et l'élastique de l'oreille droite se détache, entraînant dans sa chute le sonotone (c'est plus joli qu'appareil auditif), lequel rebondit sur le bitume, s'ouvrant et libérant la pile qui s'enfuit en couinant. Ne voyant plus rien, n'entendant plus que d'une oreille, avec un bout de tissu pendouillant à l'autre comme un vieux caleçon à une corde à linge, je tends un bras devant moi en écarquillant les yeux pour tenter le percer le brouillard qui m'entoure, j'enveloppe mon oreille nue d'une main en coque pour tenter de comprendre les insultes dont m'accable une femme épileptique en robe à carreaux cintrée à la taille, chihuahua sous le bras parfumé Chanel. Je tâtonne, courbé en deux à la recherche de ma prothèse auditive. La femme redouble de beuglements, glaviotte de partout en me faisant signe que mon masque est de traviole. Le sien est droit, il ne laisse voir que deux yeux furibards, je ne peux donc lire sur ses lèvres et ses injures pourraient être du bachi-bouzouk que je ne les comprendrais pas davantage. Une sirène de police se rapproche, je viens de marcher sur mon sonotone. Je vous l'ai dit, les masques m'emmerdent.