Sous les platanes /12

17/08/2023 11:08

Une chaude journée d’été. Tombée de la nuit. Ciel bleu clair. Vent léger. Bruissement des feuilles de platanes. Rumeur des terrasses de bars et de restaurants. Souffle lointain d’un accordéon qui fait la manche. Une baladine sans passagers débouche, silencieuse. 100 % électrique, c’est écrit sur ses flancs. Une femme passe en parlant à voix haute devant son portable. Short effrangé haut sur les cuisses. Grands gestes. Marche rapide. Très en colère. Non, tu ne vendras pas la maison, je t’interdis d’y penser, les enfants y sont attachés.

- La Hongroise, tu te souviens ?

Je réponds par un signe de tête.

- J’aurais dû insister, je pouvais la draguer, elle m’a dit qu’elle était divorcée, je n’ai pas compris que c’était un appel du pied, j’ai perdu la main.

- Pas seulement la main, mon vieil Albert.

- C’était comme si elle attendait que quelqu’un l’aborde, elle était contente de me voir, je l’ai bien vu, elle ne m’a pas envoyé balader, elle m’a souri. J’aurais dû l’inviter à se joindre à nous, à boire un pot, et ensuite je l’aurais emmenée au restaurant, celui où on a mangé la semaine dernière, qui fait des bonnes boulettes de viande à l’italienne, comment déjà ?

- Des polpettes.

- Je suis sûr qu’elle aurait aimé parce que la cuisine hongroise… tu connais, toi ?

- Non.

- Ça doit être dégueu. Et après, je l’aurais amenée chez moi.

- Cinquième, sans ascenseur.

- Oui, et alors ? Elle était jeune.

- Quel âge, d’après toi ?

- Je sais pas… La trentaine ?

- Ça vous faisait une différence de cinquante balais.

- Et alors ? Mitterrand, il avait 70 balais, il s’est fait une petite de 20 ans.

- Il était président de la république, pas petit retraité, Albert, et un président de la République ça n’a pas d’âge, ça peut avoir cinquante balais de plus qu’une nana, c’est normal, il est président de la République, ça en jette, il peut même faire le contraire, si tu veux un exemple, je te le donne, avoir vingt balais de moins que sa femme, tout est normal pour un président de la République, il a un immense éventail de possibilités le président de la République, il peut aller voir sa maîtresse en scooter, mais toi, tu pourrais aller en scooter, te marier avec une femme de vingt ans de plus que toi ?

- Déconne pas, elle aurait cent et quelques…

- C’est la preuve que non seulement t’es pas président de la république mais que tu le seras jamais.

- Quand même, Mitterrand, il était moche, dit la serveuse en sortant son carnet de commandes. La beauté, ça compte chez un mec, c’est là où il a des chances, monsieur Albert…

- Je vois pas pourquoi, je fais. Je le regarde, de face, de profil, et je vois pas pourquoi… même de dos.

- Faut que je me refasse les dents, dit Albert, et basta.

- Prévois aussi d’aller en Turquie pour te faire des implants de cheveux, c’est pour rien là-bas et le poil ottoman c’est ce qui tient le mieux sur le crâne, il paraît.

- Je t’emmerde.

- Et puis fais-toi opérer de la hanche ça t’évitera de draguer avec une canne et ne fais pas attendre la serveuse, choisis ta pizza. Pour moi ce sera une napolitaine, celle avec des anchois.

- La même, monsieur Albert ?

- Non, une margherita, il m'a trop énervé pour manger épicé…