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Tito Topin, blog-trotteur.

Sous les platanes /10

Avignon. Fin du festival. Les affichettes gisent sur le sol, épuisées. Un gros camion bouche la rue. Des gens s’affairent autour. Lourdement chargés. Ils remballent le décor d’un théâtre, les chaises, la sonorisation et je ne sais quoi, les costumes aussi, je ne peux pas tout voir du bistro où je me tiens, un gros platane me cache une partie de la rue. Adossé à son tronc, un marquis s’entretient avec un autre marquis, assis, l’air crevé. Ils ne sont peut-être que ducs. Ou bien comtes. De deux siècles différents, l’un a l’air de sortir d’une pièce de Molière, l’autre du salon de Downtown Abbey, le premier est blanc, le second noir et tous deux parlent portugais, avec l’accent brésilien. Je suis trop éloigné pour les entendre mais je perçois la musique de la langue. Le Molière a retiré sa perruque et ne sait pas quoi en faire, pendant au bout du bras, serpillière inutile qui s’agite au moindre geste. Sa tignasse est défaite. Le camion referme ses portes arrière, la rue se dégage, passe une file de voitures. Un blond baraqué, cheveux longs, vaste short militaire avec poches sur le côté, gros mollets tatoués d’une tête de mort aux yeux rouges qui aurait pu être signée par Druillet, veut récupérer la chaise sur laquelle est assis le marquis noir. Il doit la ranger. On ferme avec le festival, dit-il, on prend une semaine de repos. Les comédiens s’éloignent. Laissant une pile d’imprimés. Leur pièce s’appelait : O grito do Ipiranga. Ça traite de l’indépendance du Brésil, me dit Albert en lisant le résumé. Comment tu sais ça, toi ? J’ai vu un documentaire sur le sujet pas plus tard que la semaine dernière, c’est con, si j’avais su je serais allé voir la pièce. Tu ne vas jamais au théâtre, je dis en haussant les épaules. C’est vrai, mais ça fait du bien de savoir que j’aurais pu y aller, ça s’appelle la liberté, j’y tiens. Tout de suite les grands mots. C’est un lyrique, Albert. Il faut que je vous parle de lui, c’est le seul ami qui me reste aussi je lui passe ses défauts. Il n’a pas de famille. Son père avait l’habitude de décapsuler les bouteilles de bière avec ses dents pour aller plus vite et de boire au goulot. Un jour qu’il était trop pressé, il a avalé la capsule. Elle est restée coincée. Il a fallu trouver un plombier qui l’a sortie avec un déboucheur de canalisation, avant de l’enterrer. Il n’a aucun souvenir de sa mère, aucune photo, il affirme ne pas en avoir eue. Ado, il a vagabondé, vécu au Chili où il s’est marié à deux mille mètres d’altitude, a eu deux enfants qui doivent avoir la cinquantaine, un garçon qui s’appelle Eusebio et le deuxième il n’en sait rien, il s’est barré avant sa naissance. En France il est entré dans la police et a tué par erreur un supérieur qu’il ne pouvait pas blairer en tirant sur un fuyard. C’est ce qui a été dit. Par erreur. Ça lui évite d’avoir du remords. J’ai essayé d’en faire un flic dans une série télévisée en m’inspirant de son personnage mais aucune chaîne de télévision n’a voulu de mon projet, toutes m’ont dit que même Jésus avait une mère et que le seul flic qui s’en était passé, c’était Dieu. Ça m’a donné une idée. Une pièce sur le premier meurtre, celui d’Abel, en apportant les preuves que ce pauvre Cain n’y était pour rien. Il avait un alibi, cette nuit-là il était dans le lit de sa mère que Dieu venait de créer tandis qu’Adam souffrait encore de la côtelette qu’on lui avait enlevée. Dieu lui-même ne pouvait pas le savoir, il avait un œil dans la tombe, l’autre on ne sait pas. Ça fera un tabac au festival 2 024, prophétise Albert qui m’encourage beaucoup.

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