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Tito Topin, blog-trotteur.

Sous les platanes /11.

C’était samedi dernier. Elle peine à garder son équilibre sur des talons mal adaptés aux calades de la vieille ville. Ils risquent de la faire trébucher, de se tordre une cheville. La robe est légère, courte, l’imprimé estival avec des tonalités vert prairie, les jambes fuselées, bronzées. Des cheveux outrenoirs comme les aurait peints Soulages encadrent un visage que cachent en partie un béret rouge joliment ordonné et des lunettes de soleil enveloppantes. Le teint mat me fait penser à une Espagnole. Une Andalouse, ou bien une Arabe. Tu veux que j’aille lui demander ? me fait Albert. Je n’ai pas le temps de répondre qu’il s’est levé, l’a rejointe en quelques pas et abordée. Ils sont trop éloignés et les bruits de la rue trop forts pour que j’entende ce qu’ils se disent mais je vois bien qu’elle n’a pas l’air offusquée et qu’elle lui répond avec gentillesse. Ils sont comme deux vieux amis qui se rencontrent par hasard, c’est tout juste s’ils ne s’embrassent pas en se quittant. Albert revient vers moi en arborant cet air de triomphe que je connais bien et qui le rend idiot. Elle s’appelle Bianka, elle est styliste à Berlin, divorcée, dit-il en s’asseyant, elle a une fille de dix ans, Marika, qui est en vacances avec son père en Bretagne, elle parle très bien le français et n’est pas du tout Arabe comme tu le crois, elle est Hongroise. Aussitôt m’arrive en tête, torrentiel, l’air de la Rhapsodie hongroise que Tom le chat s’évertue à exécuter au piano tandis que Jerry, la souris, lui pique ses partitions, court sur les touches, lui pourrit la vie dans un dessin animé de Tom et Jerry, "The cat concerto". Et me submerge le Jean Yanne de la fin des années 60, à la radio, interprétant l’Éblouissant Haroun el Rachid, Sublime Commandeur des Croyants, Splendeur de l’Univers et Maître du Croissant Beur s’extasiant devant la beauté d’une hétaïre alanguie dans un palanquin et envoyant dare-dare son valet Marcel, alias Daniel Prévost, l’inviter à se rendre auprès de Lui, persuadé qu’elle est arabe. Marcel revient vers son maître en balbutiant, penaud : Mon bon maître, l’Arabe se dit Hongroise !, tandis qu’aussitôt démarre la Rhapsodie Hongroise n° 2 de Liszt. Un des plus beaux calembours radiophoniques qu’il m’a été donné d’entendre. Et comme je l’avais fait cinquante ans auparavant, j’éclate de rire. Qu’est-ce que j’ai dit de si drôle, s’étonne Albert en regardant autour de lui pour voir s’il n’y a pas une chose qui justifie une telle hilarité, c’est parce que j’ai dit qu’elle est hongroise ? Non, je fais en essuyant mes larmes, c’est parce que t’as un super pouvoir rajeunissant, regarde-moi, grâce à toi, j’ai plus une ride, j’ai toutes mes dents, j’ai reculé de cinquante ans ! Depuis, il me regarde avec compassion, il croit que je perds peu à peu la raison, il me paye mes consommations, il me prend le bras pour traverser.

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P
Quel bon moment, merci Jean Yanne<br /> et tito bien sur
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