Sous les platanes / 2

Une batucada surgit au coin de la rue. On a du mal à se faire entendre en commandant une bouteille de Chardonnay. Rythme endiablé. Des gens dansent au soleil. Se déhanchent. Trois comédiens passent de table en table, distribuant des publicités pour leur spectacle, les têtes recouvertes d’un masque d’animal. Un cerf branchu, un sanglier fumant, un rhinocéros cornu. Mon petit chien se dresse au bout de sa laisse, aboie vigoureusement. On en rit quand : C’est une crevette ! s’écrie Georges. Il toussote, regarde autour de lui pour s’assurer que personne ne l’a entendu crier. La musique est trop forte. C’est vrai qu’elle n’est pas épaisse. Je dis qu’elle me fait penser à Audrey Hepburn, en plus maigre. Oui, c’est qu’elle s’habilleu bièn, dit Georges de sa voix râpeuse, le chique parisièn. Un coup de mistral, intervient Ahmed sans lâcher la jeune femme du regard, et tu la vois plus, - envolée -, tu la retrouves au sommet du Ventoux. Audrey Hepebrune, elle s’habillait chez Givènechy, insiste Georges qui a lu la bio de l’icône de la mode et tient à le faire savoir. Mais qu’est-ce qu’il a, lui, ce machin sur son bide qu’on dirait un échafaudage, coupe Ahmed en pointant du doigt un type pieds nus qui louvoie dans la foule ? C’est une Steadycam, je dis, une caméra ventrale, et il est en train de filmer la crevette. Oh, les pépés, vous n’avez pas honte de l’appeler comme ça, c’est une vedette, c’est Lily Collins, s’indigne la serveuse en posant la bouteille de blanc sur la table, c’est elle qui joue dans Emily in Paris, elle tourne un épisode ici et ajoute, admirative : C’qu’elle est vachement bien habillée ! La faute à Givènechy, répète Georges. C’est quoi, Emily in Paris ? demande Ahmed. Là-dessus passe un faux cheik sur un dromadaire nonchalant qui a l’air de mâcher un éternel chewing-gum et on parle d’autre chose.