Sous les platanes /6

Un stand de charcuterie. Un saucisson gonflable flotte au-dessus. Le vendeur harangue la foule des festivaliers. Les saucissons de l’Ardèche vous donnent la pêche, les saucissons de Lyon sont bons pour les lions ! C’est beau comme du St John Perse, dit Albert. Une trottinette bouscule un petit homme habillé en Charlot. Son chapeau tombe. Il brandit sa canne. Le chapeau roule. Charlot lui court après en lançant des injures dans une langue étrangère. Les cloches d’une église voisine. L’heure de la messe. Deux fidèles attardées se pressent. Un labrador hurle à la mort. Tu crois en Dieu, toi, me demande Albert en rotant sa bière ? Si tu me demandes si je crois au presse-légumes, je te réponds que oui, j’y crois, parce que j’en ai un, et si tu me demandes si je crois au rosé, je te répondrai pareil parce que je viens d’en boire un et j’en voudrais bien un autre. C’est pas une réponse que tu me fais, c’est une métaphore de mauvaise qualité, tu y crois, oui ou non ? Et toi ? Il réfléchit avant de me répondre et quand il réfléchit, ça se voit, il fait une tronche de constipé. Ça m’arrive de douter et puis je me dis qu’on n’a pas pu faire tout ça pour rien. Tout ça, quoi ? Le Palais des Papes, les cathédrales, les synagogues, les mosquées, la Saint-Barthélemy, les Croisades, on n’a pas brûlé Jeanne d’Arc pour rien, converti les Indiens Guaranis, donné des vierges à bouffer aux lions, et tous ces pélerins qui vont à St Jacques de Compostelle sur les genoux, sur la tête, sur le ventre, c’est pas possible, parce que, sinon, c’est de l’escroquerie, et une escroquerie qui dure depuis deux mille ans, je ne peux pas y croire, je peux pas croire qu’on s’est tous faits avoir, juifs, musulmans, bouddhistes, chrétiens, shintoïstes et je ne sais quoi encore, que les plus grands esprits de ce monde, Confucius, Mauriac, Bossuet, Spinoza, Maïmonide, Péguy, Avicenne, ils n’ont pas pu se tromper, pas tous, t’es pas d’accord… ? Non seulement je suis d’accord avec toi, je dis en hochant la tête avec gravité, mais en plus, je crois à la Sainte Trinité, aux trois divinités, je crois qu’ils sont trois, le Dieu des chrétiens, celui des juifs et celui des musulmans, et qu’ils font chier tout le monde parce qu’ils ne trouvent pas un quatrième pour faire une belote. Il essaie de me donner une tape sur la tête, renverse la canette de bière, me mouille la chemise, le pantalon. Oh, les pépés, fait la serveuse en ramassant la canette, si vous voulez vous rafraichir demandez-moi de l’eau. Les saucissons de l’Ardèche vous donnent la pêche, clame le charcutier, les saucissons de Lyon… ! Allez, viens, Albert, je dis en me relevant pour m’essuyer avec la main, on va acheter un sauciflard au poète d’à côté, il a sûrement un jésus.