Sous les platanes /5

Deux jeunes filles passent en riant sur une trottinette électrique, accrochées l’une à l’autre, échangeant quelques mots et redoublant de rire, cheveux au vent, jupes larges se soulevant au moindre souffle, manquant de peu un homme habillé comme l’étaient les pilotes au temps des Latécoère, long manteau de cuir noir, bottes, casque de cuir, lunettes de natation, belles moustaches, trop belles pour ne pas être fausses. Autour de ses hanches, un avion en carton peint retenu par une paire de bretelles. Les ailes sont raccourcies, deux moignons, l’hélice est un ventilateur avec sa grille. Sur le capot, un petit singe coiffé d’une chéchia distribue des programmes aux passants. Albert en attrape un. Comment Saint-Ex eut péri. Toute la vérité sur ce drame maritime en un acte, garanti sans bouée. Ça fait envie, ironise Albert en me filant l’imprimé. Moi, ça m’intéresse, je dis, on sait toujours pas comment il est mort. Et tu crois que ce comiqueu, avec son aréoplane en carton, il va teu leu dire, comment il est môrt ? Qui sait, je fais en empochant le programme ? Mais quel âge tu as, même un minot il sait comment il est môrt, il est tombé à la mèrre, et basta. C’est toi qui aurais dû écrire la pièce, je dis. Une femme en jupe noire court en bousculant des gens, l’air affolé, des papiers à la main, en s’excusant sans arrêter de courir. Mon chien aboie furieusement. Là-dessus, un Peau-Rouge de série Z, torse nu, les joues peintes comme un supporter de l’O.M., une plume de poulet plantée dans son bandana, une hache de guerre en plastique dans sa ceinture, nous file un imprimé. L’ultime combat des Vegans contre Buffalo Bill. Notre conversation a aussitôt dévié sur les différences notoires qui existent entre la viande de bison et la courgette maraîchère et nous avons repris des pois chiches.