Brasserie du Théâtre.

Un mistral glacé secoue les arbres du cours Jean Jaurès. Il a plu ce matin et sur les trottoirs lavés par l'averse cascadent de brèves lueurs jaunes, oranges et rouges chaque fois que passe un véhicule. Dehors, le corps bien droit dans un manteau de vison une jeune femme avance, lentement, le pas hésitant, l'air de chercher son chemin. Une étrangère, assurément. J'observe sa silhouette à travers les vitres de la brasserie. J'espère que sa fourrure est fausse, je dis en reposant ma tasse de café. Tu as tort, fait Paul, il vaut mieux qu'elle soit vraie, qu'elle soit animale. Je le regarde, méfiant, je reconnais bien là son esprit de contradiction. Tu te fous de moi, tu penses qu'on doit encore se foutre des peaux d'ours sur le dos pour avoir chaud ? Je dis simplement, répond Paul, que les fourrures animales sont biodégradables tandis que les fausses sont faites de produits pétroliers, d'hydrocarbures et de fibres synthétiques qui ne sont pas recyclables et qui renforcent les gaz à effet de serre. À l’extérieur, la femme à la fourrure hésite à entrer, regarde sa montre. Les doudounes qu'on a sur le dos, toi et moi, accélèrent le réchauffement climatique et grâce à ça, les pétroliers peuvent aller forer au pôle Nord, tout ça pour sauver quelques visons, ajoute-t-il de ce ton doctoral qui m'a toujours agacé. Arrête, tu me fous le cafard, je dis. Chaque fois que tu enfiles ta doudoune, insiste Paul sans tenir compte de mon intervention, de petites particules de plastique se détachent. La pluie les emporte et tu les retrouves dans le bide des poissons.

Un courant d'air froid en provenance de l'entrée nous fait tourner la tête. La jeune femme avance entre les tables dans son manteau de fourrure, mal assurée comme on l'est parfois en pays étranger. Aussitôt, les deux couples qui déjeunent à côté de nous se dressent, se mettent à bleugler et l'agonir d'injures. Elle s'empresse de faire demi-tour en retenant ses larmes.

© Tito Topin

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